«Mon fils est-il un terroriste?» Voilà une question qui est régulièrement posée à Herman Okomba-Deparice, du nouveau Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, qui a été lancé ce printemps.
Le processus d’embauche n’est pas terminé et les locaux du centre ne sont pas encore remplis, mais déjà ses intervenants accompagnent de nombreuses familles qui sont inquiètes ou se sentent coupables devant les changements de comportement d’un de leurs jeunes.
Entrevue avec le directeur de ce centre unique en Amérique du Nord pour son approche préventive et humaine.
Comment les familles vivent-elles la radicalisation d’un des leurs?
Le père d’un jeune me disait: «Pour moi, c’est un échec que mon fils en soit arrivé là.» Les parents culpabilisent. Et c’est un sujet tabou. Les familles n’osent pas parler de radicalisation parce qu’elles se disent que c’est du terrorisme, alors que ce sont deux choses différentes.
Plus d’une dizaine de jeunes ont été arrêtés à Montréal récemment parce qu’on les soupçonnait de vouloir rejoindre l’État islamique. Quel impact cette vague a-t-elle sur la communauté arabo-musulmane?
S’ils n’ont pas de raison de croire que leur jeune se radicalise, ils ne vont pas s’inquiéter. Par contre, les gens se sentent stigmatisés à cause des préjugés que cela engendre. Par exemple, une dame a perdu son job parce que des gens ont rapporté que son fils avait l’intention d’aller en Syrie. C’est énorme.
Est-ce que toutes les personnes radicalisées sont violentes?
Non. Par exemple, il y a des jeunes qui veulent aller en Syrie pour aider et faire de l’humanitaire. Je leur réponds: «Dans ton quartier, tu peux faire de l’humanitaire. Il y a des gens qui meurent de faim à Montréal.» Ensuite, être radical n’est pas une mauvaise chose en soi. Dans l’histoire de l’humanité, il y a toujours eu des personnes aux idées radicales qui ont changé leur communauté: Mandela, Gandhi, Martin Luther King. Là où on a un problème, c’est quand la personne va utiliser ses idéaux pour cautionner la violence et déshumaniser la mort.
Les personnes qui se radicalisent sont-elles toutes des loups solitaires?
Non. Ce sont souvent les étudiants les plus brillants que j’ai vus de ma vie. Ils ont des cotes R extraordinaires. Certains ont été admis en médecine. Il n’y a pas de profil type. En Europe, on entend toujours parler de gens isolés, déscolarisés, qui n’ont aucun avenir. C’est le contraire à Montréal.
Comment fonctionne le centre?
On a une ligne d’écoute ouverte 24 heures sur 24 et on intervient sur le terrain pour rencontrer les familles et les jeunes qui en ont besoin. Nous donnons aussi des formations dans les écoles et autres institutions. Depuis notre ouverture au mois de mars, nous avons déjà reçu environ 280 appels. C’est énorme.
Comment expliquer ce succès?
Notamment parce que nous sommes indépendants de la police. Avant la création du centre, la seule option qu’avaient les familles qui se questionnaient, c’était d’appeler la police, ce qui menait à une judiciarisation des dossiers. Certains avaient donc peur d’appeler.
Comment êtes-vous reçus dans les familles?
Parfois, certains parents pleurent de soulagement quand je leur dis: «Vous avez bien fait de nous appeler, on va tout faire ça ensemble.» Cela montre qu’il n’y a pas de ressource pour les questions de radicalisation. Les gens veulent comprendre. C’est monsieur et madame Tout-le-monde qui se demandent si leur jeune se fait endoctriner. Dans certains cas, il n’y a pas de radicalisation, mais les parents sont
inquiets car leur enfant s’est converti. Aussi, lorsqu’il y a une enquête policière, les gens sont laissés à eux-mêmes. On vient pallier ce vide.
Combien de dossiers ont mené à des dénonciations à la police?
Depuis notre ouverture, seulement trois. [Si je fais appel] à la police, c’est que j’ai un doute raisonnable et que je pense qu’il y a un danger pour la personne ou la collectivité. Mais cela se fait aussi en concertation avec la famille. Par exemple, dans un cas où la police avait été contactée, la maman a appelé après pour nous remercier. Mais en même temps, pour moi, c’est un échec. Il faut agir avant d’avoir à appeler la police.
Y a-t-il d’autres formes de radicalisation que celle reliée à la religion?
Oui. Notre approche inclut aussi l’endoctrinement politique, qui touche l’extrême droite et l’extrême gauche. En fait, dans le processus de radicalisation, la religion est presque secondaire.
Pour joindre le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence: 1 877 687-7141
journaldemontreal.com
Photo Le Journal de Montréal, Chantal Poirier
Herman Okomba-Deparice a travaillé pendant 10 ans avec la police de Montréal, notamment sur les questions de profilage racial.
- Posté par webmestre
- Le 11 août 2015
- 0 Commentaires
0 Commentaires